Le mythe de la catastrophe de la dette, déboulonné

Analyse
Perspectives

Les mythes revêtent peut-être de l’importance pour le folklore, mais ils ont peu d’utilité en finance. Nous examinons les faits qui sous-tendent certains des mythes communs entourant la dette nationale des États-Unis.

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1 novembre 2024

Par Atul Bhatia, CFA

Le gouvernement américain est aux prises avec une dette astronomique. Le chiffre est si important – plus de 35 000 milliards de dollars – que nous pensons qu’il a perdu tout sens. Il est ahurissant de constater que la dette du Trésor américain envers les autres organismes gouvernementaux des États-Unis, si elle se présentait comme une entité distincte, serait le troisième pays le plus endetté du monde, après les États-Unis et le Japon. Les intérêts sur la dette représenteront bientôt une dépense de 1 000 milliards de dollars, soit plus que le montant combiné consacré par le gouvernement américain aux prestations aux anciens combattants, à l’éducation et au transport.

L’ampleur de ces chiffres a créé une industrie artisanale des prévisions tragiques, caractérisée par de nombreuses hyperboles, mais peu d’analyses. Nous avons déjà discuté de ce que nous considérons comme les réalités de la dette nationale des États-Unis, mais pensons qu’il est utile d’examiner de nouveau certains des mythes les plus pernicieux et persistants à son sujet.

Mythe no 1 : l’économie américaine est dangereusement surendettée

La principale source de confusion en ce qui concerne la dette américaine, c’est que l’on pense que le chiffre nous dit quelque chose d’important. Ce n’est pas le cas, du moins pas en soi, car le gouvernement ne constitue qu’une petite partie de l’économie américaine. Ce qui importe à des fins macroéconomiques, c’est le montant que toutes les parties prenantes, tant publiques que privées, ont emprunté. Lorsque nous additionnons les emprunts des ménages et des sociétés, nous constatons que la dette du gouvernement américain est relativement faible. Les Canadiens, par exemple, ont « endetté » une plus grande partie de leur production future que les Américains, et les emprunts aux États-Unis sont sur le même pied d’égalité que ceux en Suède et au Royaume-Uni.

S’inquiéter de la dette publique, c’est comme si l’on prétendait ne pas avoir de dette parce que l’on a remboursé sa carte de crédit le mois dernier. C’est un argument difficile à faire valoir si l’on a toujours un prêt hypothécaire, un prêt automobile ou une dette étudiante. Qu’il s’agisse des ménages ou de l’ensemble du pays, il est peu probable que nous arrivions à la bonne conclusion si nous n’examinons qu’une partie du problème.

La situation n’est finalement pas si différente : une mesure plus générale de l’endettement montre que le portrait des États-Unis est assez typique

Dette en pourcentage du PIB

Dette en pourcentage du PIB

Le graphique des colonnes indique la dette en 2022 en pourcentage du produit intérieur brut (PIB) de huit pays (classés du plus petit au plus grand pourcentage de la dette totale) : Allemagne (194 %), Irlande (219 %), Royaume-Uni (252 %), Italie (254 %), Chine (272 %), États-Unis (273 %), Suède (274 %) et Canada (322 %). La dette est divisée en catégories : dette publique générale, dette des ménages et dette des sociétés non financières.

  • Dette des sociétés non financières
  • Dette des ménages
  • Dette publique générale

Source : Fonds monétaire international; pourcentage du PIB de 2022 comprenant les obligations, les prêts et les titres de créance

Mythe no 2 : les investisseurs doivent se préparer à un défaut de paiement imminent aux États-Unis

Les défauts de paiement surviennent généralement lorsque les emprunteurs manquent de ressources pour honorer leurs promesses. Il est improbable que cela se produise pour le gouvernement américain, car le Trésor a promis de ne donner aux investisseurs qu’un certain nombre de dollars à des dates futures précises. Par une heureuse coïncidence, le gouvernement américain peut fabriquer des dollars à sa guise. Dans ces circonstances, ce serait un choix délibéré pour les États-Unis de ne pas respecter leurs obligations. Et compte tenu de la durée de vie des carrières politiques après un défaut de paiement d’un État, nous pensons que les dirigeants américains ne feront pas ce choix.

Comme nous en avons déjà discuté, la préoccupation légitime à l’égard des emprunts excessifs n’est pas le défaut de paiement, mais l’inflation. Les dollars seront versés comme promis, mais les investisseurs ne pourront pas acheter autant avec eux. Il s’agit d’un risque réel. Mais c’est une préoccupation très différente que celle d’un défaut de paiement. Les cas de défaillances d’État sont des catastrophes économiques pour la plupart des segments de la société et ont tendance à précéder des années de faible croissance. L’inflation est un problème sérieux, mais elle est plus facile à gérer et habituellement moins grave que les défauts de paiement.

Mythe no 3 : Blâmez les politiciens, ce sont eux qui sont aux commandes

Le discours dominant est que nos dettes seraient dues à notre prodigalité. Qu’il s’agisse de programmes insensés de dépenses ou de réductions d’impôt non capitalisées, la dette ne serait qu’une conséquence d’un piètre leadership politique.

En toute justice, il y a un élément de vérité dans ce point de vue. Relever les impôts n’est jamais très populaire en politique, et certains programmes doivent être financés. Malheureusement, les coûts impossibles à couper des programmes dépassent les recettes fiscales impossibles à augmenter. C’est un enjeu politique structurel qui devrait persister dans un avenir prévisible.

La réalité, en fait, c’est que la forte hausse des emprunts gouvernementaux n’est pas le résultat d’une volonté politique. Les augmentations les plus importantes découlent de la crise financière mondiale et de la pandémie. Sans ces deux événements, le ratio de la dette au PIB des États-Unis serait probablement inférieur d’environ 40 points. Il est difficile de soutenir, selon nous, que les politiciens avaient vraiment un choix lorsque la COVID-19 a frappé ou que le système bancaire était au bord de l’effondrement.

Ces événements démontrent une fois de plus que le gouvernement n’est qu’une partie relativement petite de l’économie. Si l’on examine le dernier excédent budgétaire des États-Unis dans les années 1990, il y avait des mouvements cherchant à contrôler les dépenses et à augmenter les impôts, mais l’un des principaux facteurs de l’excédent a été la montée d’Internet et la croissance économique parallèle.

Réduire la dette est davantage une question d’éviter les catastrophes et de récolter les fruits de l’innovation que de resserrer le budget fiscal annuel.

L’augmentation de la dette aux États-Unis est alimentée par les interventions en période de crise

Titres de créance fédéraux détenus par le public (% du PIB)

Titres de créance fédéraux détenus par le public (% du PIB)

Le graphique montre le pourcentage des titres de créance fédéraux américains détenus par le public en pourcentage du PIB national et le compare à la variation sur 12 mois de la mesure. Le graphique montre que près de la moitié de la dette actuelle a été créée dans la période allant de 2009 à 2013 ainsi qu’en 2020.

  • Données réelles (gauche)
  • Prévisions (gauche)
  • Variation sur 12 mois (droite)

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg; l’année 2024 et les suivantes représentent les prévisions consensuelles de Bloomberg

Mythe no 4 : la réduction de la dette corrigera tous les problèmes immédiatement

Le vieil adage selon lequel il faut faire attention à ce qu’on souhaite, car on pourrait l’obtenir est particulièrement pertinent pour ce qui est des investisseurs et de la réduction de la dette gouvernementale.

La hausse de la dette du gouvernement américain s’est accompagnée de solides rendements de placement dans la plupart des catégories d’actif, voire la totalité d’entre elles. Les dépenses publiques financées par emprunt ont joué un rôle réel dans ces résultats. À la base, la dette fait évoluer la demande au fil du temps; les emprunts favorisent la demande d’aujourd’hui, tandis que les remboursements la réduisent. Si les États-Unis devaient emprunter le chemin de la réduction de la dette, il est très probable que la croissance économique – et, par extension, les bénéfices des sociétés – chuterait, du moins à court terme. L’optimisme des investisseurs à l’égard de la diminution de la dette pourrait aider à compenser en partie les effets d’un ralentissement de la croissance, mais peu de données empiriques sous-tendent cette idée.

La réalité

Malgré les manchettes inquiétantes qu’on ressasse sans arrêt au sujet de la dette américaine, nous avons du mal à voir ce qui alimente la peur. Les marchés boursiers ont atteint des sommets records ou s’en approchent, les coûts d’emprunt dans l’ensemble de l’économie sont en grande partie gérables, et la croissance économique est forte, alors que l’inflation diminue. Ce fut essentiellement la réalité des États-Unis pendant la majeure partie des quatre dernières décennies, une période marquée par l’augmentation de la dette publique.

Chaque dollar dépensé par le gouvernement américain est-il efficient? Bien sûr que non. La politique fiscale pourrait-elle être plus rationnelle et favoriser davantage la croissance? Tout à fait. Mais il y a un monde de différence entre affirmer que la situation n’est pas idéale et dire que nous sommes au bord de l’apocalypse économique. Pour nous, franchir ce pas, comme une grande partie de la discussion sur la dette américaine, relève davantage de la mythologie économique que de la réalité financière.


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