Ne pas défier (ou ne pas craindre) la Fed

Analyse
Perspectives

La banque centrale américaine est incroyablement puissante et peut exercer une influence sur pratiquement tous les actifs libellés en dollars américains. Nous croyons toutefois que la Fed est aussi généralement mal comprise.

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18 avril 2024

Par Atul Bhatia, CFA

En ce qui concerne la Fed, de nombreux investisseurs semblent souvent croire par défaut que les taux élevés sont mauvais et que les taux bas sont bons, et qu’elle est presque omnipotente, en particulier en ce qui a trait à la gestion de crise. Même si nous croyons qu’il y a une certaine part de vérité dans ces déclarations, nous pensons aussi qu’elles sont loin de la réalité et inutiles lorsque nous pensons à l’économie et à la banque centrale.

Laisser les bons temps rouler

La presse financière a tendance à présenter le niveau actuel des taux d’intérêt de la Fed (environ 5,38 %) comme étant élevé, les réductions de taux de la Fed étant la clé pour laisser les bons temps rouler. Il est vrai que les taux d’intérêt bas tendent à faire grimper les prix des actifs, comme les actions, les obligations et l’immobilier, à mesure que la valeur actuelle des flux de trésorerie futurs augmente dans un contexte de taux d’intérêt plus bas. Mais il s’agit essentiellement d’un effet ponctuel : c’est une injection d’adrénaline pour les cours des titres.

C’est probablement une excellente nouvelle pour un investisseur à court terme ou qui a recours à l’effet de levier, mais pour un investisseur à long terme, la différence réside surtout dans le moment choisi. Le portefeuille de placements produira probablement des flux de trésorerie à vie identiques ou essentiellement similaires dans le cadre de l’un ou l’autre régime de taux d’intérêt, mais les taux bas nous amènent à attribuer une valeur actuelle plus élevée aux gains futurs. De plus, nous estimons que la prise en compte hâtive des bénéfices futurs est un facteur négatif absolu pour les investisseurs qui cotisent encore à leurs portefeuilles de placement. Pour n’importe quel montant de placement donné, ils peuvent acheter moins d’actifs.

Les taux d’intérêt bas ont d’autres effets mitigés. Ils peuvent contribuer à la croissance économique et entraîner une hausse des ratios de bénéfices de certains actifs, mais ils réduisent également le revenu de réinvestissement sur les dividendes et les nouveaux placements. Nous sommes d’avis que ces effets se dissipent en grande partie dans le cas d’une combinaison typique d’actions et d’obligations à 60/40, même s’ils dépendent fortement d’hypothèses sous-jacentes. Nous estimons qu’il est juste de dire, toutefois, que l’effet positif perçu des taux d’intérêt bas provient en grande partie d’une hausse ponctuelle des prix des actifs.

Les taux bas peuvent coûter cher

Les avantages douteux des taux d’intérêt bas s’accompagnent de coûts réels. Même un bref coup d’œil sur l’histoire financière de ce siècle est un rappel brutal des pièges des politiques monétaires expansionnistes.

À nos yeux, le risque évident est l’inflation. La dernière mouture de taux d’intérêt presque nuls était censée n’avoir qu’une incidence « transitoire » sur les prix; point de vue manifestement erroné que la Fed a depuis abandonné. Nous jugeons que les risques inflationnistes sont particulièrement prononcés lorsque, comme c’est le cas actuellement, les marchés de l’emploi et la demande des consommateurs sont plus solides que ne le donnent à penser les modèles économiques.

Toutefois, le rôle des taux d’intérêt bas dans la répartition du capital est encore plus pernicieux que l’inflation. Autrement dit, lorsque la Fed maintient les risques et les taux bas, les investisseurs sont contraints de prendre des risques supplémentaires – et souvent non désirés – pour satisfaire à leurs besoins de revenu. Selon nous, la période qui a précédé la crise financière mondiale est l’exemple par excellence. Nous doutons sérieusement que les titres garantis par des créances de titres garantis par des créances et les prêts hypothécaires à haut risque aient semblé attrayants pour les investisseurs s’ils avaient été en mesure d’obtenir un rendement raisonnable sur les placements à risque inférieur.

C’est l’économie, purement et simplement

De façon plus générale, nous estimons qu’il n’y a rien à craindre – et beaucoup à aimer – d’une économie qui peut fonctionner avec des taux d’intérêt élevés. Si les sociétés peuvent continuer d’accroître leurs revenus et leurs bénéfices lorsque les taux sont élevés, l’une des principales implications est que les investisseurs peuvent être rémunérés équitablement dans l’ensemble de la structure du capital. Les porteurs d’obligations peuvent obtenir un rendement raisonnable de leur placement, et les porteurs d’actions peuvent constater une croissance des bénéfices et potentiellement des dividendes.

En prenant du recul, il nous semble quelque peu étrange que la Fed envisage même de réduire les taux. Le mandat de l’établissement est de créer le plein emploi et de maintenir la stabilité des prix. Nous n’observons aucun signe significatif de faiblesse du marché de l’emploi, tandis que l’inflation demeure préoccupante. Non seulement le plus récent rapport sur l’indice des prix à la consommation a révélé des chiffres supérieurs à la cible, mais il existe aussi des signes inquiétants que l’inflation devient intégrée aux attentes des consommateurs. La mesure privilégiée par la Fed de ce facteur – soit un indicateur fondé sur le marché qui représente l’inflation annuelle sur une période de cinq ans commençant dans cinq ans – demeure obstinément supérieure à la cible et au niveau d’avant la pandémie.

Comme l’économie fonctionne pour les travailleurs, les entreprises et les investisseurs, nous croyons qu’un taux directeur stable de la Fed n’est pas un résultat particulièrement inquiétant.

Retour vers le futur?

L’économie américaine s’est bien portée lorsque les taux d’intérêt étaient à ce niveau

L'inflation, le taux de chômage et le taux cible du financement à un jour aux États-Unis

Le graphique linéaire compare l’inflation sur 12 mois de l’indice américain des prix à la consommation, le taux de chômage aux États-Unis et le taux cible du financement à un jour de la Réserve fédérale depuis juillet 2004. En 2006 et en 2007, lorsque l’inflation et le chômage se situaient aux niveaux cibles fixés par la Réserve fédérale, ou en étaient proches, le taux de financement à un jour (5,25 %) était semblable à celui d’aujourd’hui (5,375 %).

  • Taux de chômage aux É.-U. (gauche)
  • Indice des prix à la consommation, var. sur 12 mois (gauche)
  • Taux directeur du financement à un jour, point médian de la cible (droite)

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg.

L’omnipotence de la Fed… en quelque sorte

La Fed peut effectivement fixer les taux d’intérêt à court terme et elle a la capacité de fixer les taux d’intérêt à long terme, du moins pendant un certain temps. Elle peut aussi financer n’importe quelle quantité de placements pendant n’importe quelle durée. Ce dernier pouvoir a joué un rôle crucial dans la reprise après la crise financière mondiale : il a permis aux actifs de gagner du temps et de se redresser.

La Fed a aussi démontré son pouvoir en cas de crise financière durant la tourmente des banques régionales de mars 2023. À l’époque, nous avions insisté sur le fait que la banque centrale pouvait mettre fin à la contagion selon sa volonté – à ce moment les banques étaient aux prises avec des problèmes de financement primordiaux. La plupart des investisseurs actifs actuels, dont nous, ont surtout été témoins de crises financières, ce qui, à notre avis, nous a en grande partie amenés à surestimer la capacité de la Fed à composer avec tout problème économique.

La pandémie a toutefois fait ressortir les limites du pouvoir de la Fed : elle exerce une influence grandement moindre dans le monde physique que le monde financier. Les problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement échappent largement à la capacité d’influence de la Fed. Aucun niveau de taux d’intérêt ne peut accélérer l’exploitation d’un port ou la navigation. En théorie, la Fed pourrait imposer des taux d’intérêt suffisamment élevés pour ramener la demande au même niveau que l’offre réduite, mais écraser l’économie pour compenser une réduction temporaire de l’offre est une idée à laquelle seul un théoricien pourrait adhérer.

Périls de la simplification excessive

La Fed est sans aucun doute un établissement mondial puissant. À notre avis, toutefois, le discours sur la banque centrale fait trop souvent l’éloge des taux bas tout en faisant valoir ses pouvoirs quasi magiques. Une analyse plus nuancée de l’établissement et de ses politiques montre clairement qu’il ne faut pas craindre des taux d’intérêt élevés et que le soutien de la Fed a ses limites en période de turbulences.


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