Nous assistons à une profonde transition vers l’énergie renouvelable et, ce faisant, vers la prochaine normalité. Nous exposons quatre éléments susceptibles d’accroître le potentiel des technologies vertes.
Frédérique Carrier Première directrice générale et chef, Stratégies de placement - RBC Europe Limited
Le monde opère actuellement un virage radical vers l’énergie renouvelable. Cette transformation sera plus rapide et possiblement plus profonde que lors de l’adoption du pétrole dans les années 1850. Dans ce cas, il s’est écoulé un siècle entre le forage des premiers puits de pétrole commerciaux et le moment où le pétrole a représenté un quart de l’énergie utilisée dans le monde. Aujourd’hui, l’objectif est de réaliser l’essentiel de cette transition énergétique d’ici 2050, ou en seulement trente ans, conformément à l’Accord de Paris, qui a pour but de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels.
Une part considérable de l’énergie actuellement tirée de combustibles fossiles devra être remplacée par une énergie provenant de sources renouvelables, sans oublier que la demande d’électricité continuera d’augmenter comparativement aux niveaux actuels, étant donné la croissance démographique et l’électrification grandissante de nombreuses activités, comme les transports.
En somme, la transition énergétique exige une modification, en quelques décennies, de la façon dont l’énergie est produite, emmagasinée, distribuée et utilisée.
Selon l’IRENA (Agence internationale pour les énergies renouvelables), une organisation intergouvernementale qui aide les pays à assurer leur transition vers un plus grand recours à l’énergie durable, 110 billions de dollars devront être investis au cours des 30 prochaines années pour réaliser la transformation énergétique mondiale.
Le diagramme circulaire illustre la répartition des investissements totaux d’une valeur estimative de 110 000 milliards de dollars nécessaires pour réaliser la transition énergétique, selon l’International Renewable Energy Agency : électrification et infrastructure, 26 000 milliards de dollars (23 %) ; énergie renouvelable, 27 000 milliards de dollars (24 %) ; efficacité énergétique, 37 000 milliards de dollars (35 %) ; combustibles fossiles et autres, 20 000 milliards de dollars (18 %).
Nota : Combustibles fossiles = principalement le pétrole, le gaz naturel et le charbon
Source : IRENA
Soulignons que ces investissements en faveur d’une profonde transformation s’appuient sur des plans d’action gouvernementaux qui sont synchronisés pour la première fois, l’année 2020 ayant marqué un tournant.
Source : RBC Gestion de patrimoine
Comme nous l’avons souligné dans notre rapport sur les changements climatiques en mars, l’énergie utilisée dans l’industrie, les transports et les bâtiments cause près des trois quarts de toutes les émissions de gaz à effet de serre. Actuellement, des combustibles fossiles (principalement le pétrole, le gaz naturel et le charbon) sont brûlés pour produire de l’électricité, ce qui crée des émissions de carbone. L’une des façons de réduire les émissions est d’opter pour une électricité produite par des turbines éoliennes, des panneaux solaires et d’autres sources d’énergie renouvelable. L’hydroélectricité est sans doute déjà utilisée à son plein potentiel : les pays n’ont pas tous les ressources en eau nécessaires, et ceux qui en disposent les ont déjà exploitées au maximum au cours des 100 dernières années.
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit que l’énergie renouvelable représentera 95 % de l’augmentation nette de la capacité énergétique mondiale d’ici 2025. Elle souligne que l’énergie solaire et l’énergie éolienne terrestre, dont les coûts ont chuté de façon spectaculaire au cours des deux dernières décennies, sont déjà les moyens les moins chers d’ajouter de nouvelles capacités de production d’électricité dans la plupart des pays. L’AIE s’attend à ce que le solaire représente à lui seul 60 % de tous les ajouts de capacité issus de sources d’énergie renouvelable d’ici 2025, et l’éolien, 30 %. Dans ce dernier domaine, l’énergie éolienne en mer devrait connaître la plus forte croissance, grâce à une nouvelle baisse des coûts et à une expansion au-delà de l’Europe et du Royaume-Uni où elle est déjà un facteur important, vers de nouveaux marchés comme la Chine et les États-Unis, où le potentiel demeure considérable.
Sources : Energy Information Administration, Ressources naturelles Canada, Ember et Agora Energiewende, China Electricity Council ; département des Affaires, de l’Énergie et de la Stratégie industrielle du Royaume-Uni
Les énergies éolienne et solaire joueront probablement des rôles dominants dans l’économie à faible émission de carbone, mais d’autres technologies y contribueront également.
En ce qui concerne l’énergie renouvelable, l’un des défis majeurs réside dans le décalage entre la demande permanente d’électricité et l’intermittence des énergies solaire et éolienne. De fait, le soleil ne brille pas toujours et le vent ne souffle pas constamment. Pire encore, durant certaines tempêtes, il peut être impossible de faire fonctionner un parc éolien.
La transition énergétique a forcé les sociétés pétrolières et gazières à investir dans l’énergie renouvelable. Les grandes entreprises européennes sont à l’avant-garde en la matière. Par exemple, Royal Dutch Shell est allée jusqu’à établir un lien entre la rémunération des hauts dirigeants et les progrès réalisés dans la réduction de ses émissions. Les géants du pétrole américains, qui s’étaient montrés plus réticents, commencent à avancer dans la bonne direction. Les grandes sociétés énergétiques mondiales peuvent certainement apporter leur contribution, notamment en affectant une partie de leurs énormes flux de trésorerie disponibles au financement de leurs objectifs de transition. À notre avis, elles risquent toutefois de payer trop cher pour leurs projets d’énergie renouvelable.
On peut néanmoins remédier à ce problème en ajoutant une source d’énergie que l’on utilisera uniquement en cas de besoin, sauf que de telles sources produisent habituellement des émissions nocives et coûtent cher si elles ne sont utilisées qu’à temps partiel.
Les systèmes de stockage d’énergie sur batterie, qui permettent d’emmagasiner l’énergie produite en surplus afin de l’utiliser en cas de pénurie énergétique, forment une autre solution envisageable. Ces batteries de taille industrielle peuvent être fixes ou modulaires et installées à divers points du réseau électrique pour faciliter la gestion de ce dernier. Elles constituent ainsi une composante essentielle d’un réseau reposant de plus en plus sur l’énergie renouvelable.
Les coûts de stockage diminuent grâce à l’innovation et aux économies d’échelle. Selon Shelby Tucker, analyste, Services publics, RBC Capital Markets, LLC, les coûts unitaires des systèmes de stockage devraient diminuer de 45 % d’ici 2030 et de 59 % d’ici 2050, tandis que la prochaine génération de batteries, dont certaines offrent plus du double de la capacité énergétique des batteries lithium-ion standards, pourrait faire baisser encore plus les coûts. D’après lui, d’ici 2050, le marché mondial des batteries pourrait être 100 fois plus important qu’il ne l’est aujourd’hui.
Les technologies de batterie pourraient également jouer un rôle crucial dans l’adoption des véhicules électriques. Comme la batterie peut représenter jusqu’à 30 % du prix d’un véhicule électrique, une réduction de son coût contribuera à rendre ce type de véhicule plus concurrentiel. Le coût a déjà diminué de plus de 85 % au cours des dix dernières années, mais il doit encore baisser. À l’heure actuelle, le coût moyen d’un bloc-batterie lithium-ion est d’un peu moins de 140 $ le kilowattheure (kWh). Selon BloombergNEF, pour que le véhicule électrique livre concurrence à la voiture traditionnelle, il faut le faire baisser à 100 $ le kilowattheure. Cet objectif semble réalisable d’ici 2023, certains fabricants ayant annoncé être parvenus à faire passer le coût sous la barre des 100 $ pour la première fois.
Fait important, l’autonomie, l’efficacité et la vitesse de recharge des batteries devraient également s’améliorer grâce à l’innovation et aux investissements. Volkswagen s’est récemment engagée à réduire de moitié le coût des batteries et à produire des batteries longue durée à recharge rapide à partir de 2024.
L’énergie hydroélectrique peut faire office de batterie à très grande échelle. Au Canada, un gros projet d’énergie éolienne a récemment été lancé au Québec. Il a été rendu possible grâce à l’énorme capacité hydroélectrique de la province, laquelle peut servir de solution de rechange lorsque l’énergie éolienne faiblit. L’énorme potentiel éolien et solaire de l’Alberta pourrait lui aussi être mieux exploité s’il était soutenu par les vastes ressources hydroélectriques de la Colombie-Britannique. Il manque pour cela un réseau plus intégré le long de la frontière de 1 800 km qui sépare les deux provinces.
Étant donné que les panneaux solaires sont installés là où le soleil brille et que les éoliennes sont érigées à des endroits venteux, et pas forcément près des villes, le modèle actuel de transport de l’électricité d’une centrale aux villes avoisinantes n’est pas viable.
Le transport de l’électricité solaire et éolienne exige des lignes à haute tension sur de grandes distances. Aux États-Unis, comme en bien d’autres endroits, la question est problématique parce que le système de transport est très fragmenté et qu’il n’achemine pas facilement l’électricité d’un bout à l’autre du pays.
Des réseaux de transport à haut voltage sont en cours d’aménagement, mais il s’agit de projets complexes qui font appel à de nombreux intervenants, comme des propriétaires fonciers, des États et des gouvernements locaux. Prenons l’exemple du réseau électrique à haute tension TransWest Express, conçu pour transporter vers la Californie trois gigawatts (GW) d’énergie éolienne produite grâce aux vents du Wyoming. Dix-sept ans après le début de la planification des travaux, la construction est enfin sur le point de commencer.
La Chine construit son réseau de transport à ultra-haute tension depuis 2009 pour répondre à la forte hausse de la consommation d’électricité et de diverses ressources énergétiques. À la fin de 2020, elle avait construit 30 réseaux pour acheminer l’électricité de ses régions intérieures vers ses régions côtières peuplées de l’Est et du Sud.
Les réseaux de distribution d’énergie, qui relient les lignes électriques aux résidences, devront aussi être modernisés pour répondre à la demande croissante en électricité à mesure que diminue la dépendance des maisons envers les combustibles fossiles. Par exemple, selon l’Administration fédérale des autoroutes des États-Unis, un véhicule électrique consomme 4 000 kWh d’électricité par année pour parcourir 21 726 km. Il faut toutefois reconnaître qu’il s’agit d’une longue distance par rapport aux normes européennes. À titre de comparaison, un ménage américain consomme 11 000 kWh par année ; les véhicules électriques feraient donc augmenter d’un tiers la consommation aux États-Unis.
Malgré l’intérêt suscité pendant des années par les véhicules électriques, ces voitures représentaient à peine 3 % de la demande mondiale en 2020. Il existait cependant des différences marquées d’une région à l’autre. La persistance de prix prohibitifs, l’autonomie inadéquate des batteries et le manque d’infrastructure de recharge publique ou résidentielle sont tous des facteurs qui retardent l’adoption des véhicules électriques.
Source : RBC Marchés des Capitaux
Cette situation est toutefois sur le point de changer. Selon les prévisions de Joseph Spak, analyste, Automobile, RBC Capital Markets, LLC – USA, les véhicules électriques représenteront 11 % de la demande de nouvelles voitures d’ici 2025, leur nombre augmentant de quelque 40 % par année, grâce à des règlements visant à éliminer les véhicules à moteur à combustion interne. Jusqu’à présent, au moins 24 pays ont proposé une forme quelconque de cibles d’émission nulle pour les véhicules. Par exemple, le Royaume-Uni interdira la vente de nouvelles voitures diesel ou à essence à partir de 2030.
Aux États-Unis, le plan d’infrastructure du président Biden vise à consacrer quelque 175 milliards de dollars aux véhicules électriques sous la forme de crédits d’impôt accordés aux consommateurs et de mesures incitatives pour l’installation de 500 000 bornes de recharge publiques.
Les fabricants en sont aux premières étapes d’un important cycle d’investissements et de dépenses en immobilisations pour accroître considérablement la production de véhicules électriques et mettre au point les logiciels s’y rapportant. Beaucoup prévoient augmenter la capacité des véhicules électriques et offrir une vaste gamme de prix et de modèles. General Motors (GM) accélère l’exécution de ses plans relatifs aux véhicules électriques en consacrant 27 milliards de dollars aux véhicules électriques et autonomes durant les cinq prochaines années. Cette société veut livrer plus d’un million de véhicules électriques d’ici 2025 et cesser la production de voitures à essence d’ici 2035. Les véhicules à moteur à combustion interne existants de Ford devraient aussi être remplacés par des véhicules électriques, mais à un rythme moins rapide que chez GM. En Chine, les constructeurs automobiles accélèrent également la production de véhicules électriques. Zhejiang Geely Holding, l’un des principaux constructeurs automobiles de la Chine et propriétaire de Volvo Cars, a lancé une marque de véhicules électriques de luxe, appelée « Zeekr ». De plus en plus d’entreprises en démarrage s’intéressent au marché florissant des véhicules électriques au pays. Li Auto souhaite devenir le premier constructeur de véhicules électriques intelligents en Chine et conquérir 20 % du marché chinois d’ici 2025.
Le remplacement des véhicules à moteurs à combustion interne par des véhicules électriques a été comparé au passage des chevaux aux voitures. Il ne s’agit peut-être pas d’une exagération. Le changement dépasse largement la simple modification des chaînes de montage. Les véhicules électriques deviennent de plus en plus comme les téléphones intelligents, comme en témoigne la transmission sans fil de mises à jour logicielles.
La réussite de cette numérisation est cruciale, étant donné que les logiciels ouvrent de nouvelles possibilités de revenus récurrents et après-vente au moyen de mises à niveau numériques et d’une connectivité accrue des consommateurs. Au cours des cinq prochaines années, Volkswagen consacrera 27 milliards d’euros aux logiciels, à l’intelligence artificielle et aux véhicules autonomes dans le but de faire passer de 10 % à 60 % la part de ses propres logiciels utilisés dans ses voitures. Comme d’autres, cette société choisit de conserver les nouvelles technologies en interne afin d’apprendre comment optimiser la technologie et les coûts.
M. Spak souligne que les investisseurs ont applaudi dans l’ensemble cette accentuation des investissements, qui améliore les perspectives d’avenir des sociétés. Ils voudront toutefois sans doute voir des preuves que ces investissements procurent de meilleurs rendements et que les véhicules électriques constituent une plateforme offrant de plus grandes possibilités de revenus récurrents et un plus vaste marché potentiel, et présentant un caractère moins cyclique. L’enthousiasme des investisseurs à l’égard des constructeurs automobiles traditionnels qui entreprennent cette métamorphose devrait être atténué par l’éventualité de réductions de valeur découlant de l’empreinte des usines traditionnelles, des restructurations, des problèmes de main-d’œuvre et du changement culturel.
Les fournisseurs de pièces devront aussi assurer une transition rapide. M. Spak croit que ceux qui peuvent démontrer leur capacité à produire des bénéfices élevés dans un monde de véhicules électriques devraient voir un réajustement de leurs valorisations à la hausse ou, à tout le moins, constater le maintien des récentes augmentations de leur valorisation. Si les niveaux actuels de rentabilité devaient à peine se maintenir ou même diminuer, il serait à son avis plus difficile de justifier une hausse de la valorisation.
Les actions des technologies vertes ont perdu du terrain jusqu’à présent cette année, puisque le marché s’est tourné vers les actions les plus susceptibles de tirer profit du redémarrage de l’économie. L’indice mondial de l’énergie de remplacement MSCI est un indicateur utile, car il suit des sociétés qui tirent au moins 50 % de leurs revenus d’activités favorisant une économie plus durable sur le plan de l’environnement. Cette année, l’indice a perdu près de 30 % de sa valeur du début de janvier au début de mars. Bien entendu, cette baisse a suivi le gain de 220 % enregistré entre le creux de mars 2020 et le sommet atteint par l’indice en janvier (comparativement au gain de 71 % de l’indice MSCI Monde durant la même période). Après la récente correction, le ratio cours/bénéfice relatif de l’indice se trouve à son niveau le plus bas en quatre ans. Malgré les gains importants réalisés l’an dernier, il convient à notre avis de saisir l’occasion offerte par la récente volatilité pour accroître les placements visant à profiter de ces thèmes de longue durée.
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