Les marchés reculent à la suite d’une baisse ferme du taux directeur par la Réserve fédérale américaine. Nous discutons des raisons derrière le changement de cap de la Fed et nous nous demandons si les investisseurs ont vraiment besoin de craindre une hausse des taux causée par une croissance plus forte.
19 Décembre 2024
Par Atul Bhatia, CFA
La décision de la Réserve fédérale américaine (Fed) de réduire son taux directeur de 25 points de base (pb) le 18 décembre n’a pas été une surprise. Cette mesure était attendue par plus de 90 % des économistes interrogés par Bloomberg et était tout à fait compatible avec les prix des contrats à terme sur taux d’intérêt en vigueur en amont de la décision.
À notre avis, les changements apportés au sommaire des projections économiques de la banque centrale, connu sous le nom de « graphique à points », méritent un peu plus d’attention. Ces données montrent que les décideurs ont revu à la hausse leurs prévisions de fin d’année quant à la croissance du PIB, à l’inflation et aux taux directeurs pour 2025. En particulier, les décideurs ne prévoient plus que deux réductions de 25 pb en 2025, ce qui place la prévision médiane pour le taux des fonds fédéraux à la fin de l’année à 50 pb de plus qu’à la réunion de septembre.
Toutefois, ce qui a vraiment retenu l’attention des marchés, c’est le ton ferme du président de la Fed, Jerome Powell, qui a déclaré qu’il faudrait d’autres progrès sur le plan de l’inflation pour justifier de nouvelles réductions de taux. À la suite de ses commentaires, les taux de rendement des obligations du Trésor américain ont augmenté de 8 à 15 pb, selon l’échéance, tandis que l’indice S&P 500 a cédé près de 3 %.
Malgré ces premières pressions de vente à la suite de l’annonce de la Fed, nous croyons qu’une pause de réductions de taux est à la fois justifiée et salutaire et que les investisseurs devraient se concentrer sur la vigueur économique qui dicte les changements de politique.
Avant le début de ce cycle de réduction des taux en septembre, M. Powell a affirmé que les décisions de la banque centrale « dépendaient des données ». C’est probablement vrai, mais seulement sur le plan technique, de notre point de vue. Nous pensons que les réductions de taux ont été largement prédéterminées depuis juillet. Une donnée aberrante aurait pu faire en sorte que la banque laisse les taux inchangés, mais somme toute, la dépendance aux données était purement théorique.
Toutefois, d’après les plus récents commentaires de la Fed, nous avons l’impression que la banque centrale se tourne maintenant vers une interprétation plus naturelle de la « dépendance aux données », où elle en vient à une décision avec un biais neutre, et qu’elle n’agira que si les données le justifient.
Sources : RBC Gestion de patrimoine, Réserve fédérale
En examinant les chiffres, nous pensons qu’une pause est nettement justifiée.
Le mandat de la Fed consiste à assurer le plein emploi et la stabilité des prix. Comment s’en tire-t-elle? Il est difficile de prétendre qu’il y a un problème d’emploi. Le taux de chômage de référence est inférieur de près de 1 % à sa médiane à long terme, et la mesure la plus large de la faiblesse de la main-d’œuvre – qui tient compte des travailleurs découragés et sous-employés – semble encore meilleure; elle est inférieure de 1,6 % à sa médiane à long terme. Ces mesures ont légèrement grimpé, mais il est indéniable que l’emploi est plus vigoureux aujourd’hui qu’au cours des expansions économiques précédentes, et encore plus qu’au cours des récessions.
Le graphique linéaire montre le taux de chômage U-6 des États-Unis, la mesure la plus large de la disponibilité de la main-d’œuvre, avec sa médiane de 9,4 % pour les 30 dernières années. Le taux U-6 était d’environ 6,8 % en décembre 2019, avant la pandémie de COVID-19, puis il a bondi à près de 23 % en avril 2020, avant de redescendre rapidement à 6,5 % en décembre 2022. Le taux a augmenté graduellement depuis, et il se situe maintenant à environ 7,8 %.
Le taux de chômage U-6 comprend la totalité des chômeurs, plus toutes les personnes liées de façon marginale à la main-d’œuvre et toutes les personnes employées à temps partiel pour des raisons économiques.
Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg; données mensuelles jusqu’au 30 novembre 2024
L’inflation – et non la création d’emplois – est sans doute le point de mire de la Fed, une position que M. Powell a finalement semblé reconnaître lors de la conférence de presse. Les composantes de base de l’indice des prix à la consommation (IPC), qui exclut les aliments et l’énergie, ont progressé de plus de 3 % sur 12 mois et les prix de l’ensemble du panier de biens ont augmenté à un rythme mensuel croissant. La cible d’inflation de 2 % de la Fed est techniquement fondée sur une mesure différente des prix à la consommation, l’indice des dépenses personnelles de consommation (DPC), qui a grimpé de 2,3 % sur 12 mois en octobre (données les plus récentes).
Normalement, il serait raisonnable de dire qu’être en deçà de 0,3 % de sa cible d’inflation est suffisamment proche. Mais il ne s’agit pas d’un contexte d’inflation normal. Nous sortons d’un épisode d’inflation de près de 10 % qui a marqué l’économie américaine. Même si l’inflation annuelle a diminué, les indicateurs d’attentes à l’égard de l’inflation à long terme sont demeurés supérieurs aux niveaux d’avant la pandémie. Les attentes à l’égard des fluctuations des prix ont tendance à se concrétiser; habituellement les entreprises qui s’attendent à une hausse des coûts de l’offre sont rapides à augmenter leurs prix et les travailleurs qui croient que les coûts augmentent recherchent de façon plus dynamique des gains salariaux.
Dans ce contexte, selon nous M. Powell agit de façon raisonnable en exigeant des progrès sur le plan de l’inflation comme condition préalable à des réductions supplémentaires. Une position contraire pourrait faire perdre le contrôle de l’évolution de l’inflation.
Même si l’indice S&P 500 a fait l’objet de ventes massives en raison du ton ferme adopté par M. Powell lors de sa conférence de presse, nous croyons que c’est une erreur de conclure que les cours boursiers dépendent de la baisse du taux directeur.
À l’appui de cet énoncé, nous n’avons qu’à observer la réaction du marché depuis que la Fed a amorcé son cycle de réduction du taux directeur en septembre. À ce moment, les investisseurs prenaient en compte un assouplissement de la politique monétaire de 2,5 %; aujourd’hui, ce chiffre se rapproche davantage de 1,4 %. Malgré cette transition vers un taux directeur supérieur, et malgré les ventes massives d’hier, l’indice S&P 500 a engrangé 5 % depuis la réunion de septembre de la Fed. La politique monétaire étant dictée par la vigueur de l’économie, nous ne voyons rien d’incompatible entre des taux supérieurs et des cours boursiers supérieurs.
Il en va de même selon le marché obligataire. À la réunion de septembre de la Fed, les taux de rendement des obligations d’État à 10 ans étaient inférieurs d’environ 1,25 % aux taux des titres à 3 mois. En date du 18 décembre, ces taux de rendement étaient essentiellement les mêmes.
Ce type de changement relatif – appelé accentuation de la courbe des taux – peut être un signe inquiétant, car la Fed a fortement réduit son taux directeur à court terme pour stimuler une économie qui s’essoufflait. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, alors que la majeure partie de l’accentuation est attribuable à la hausse des taux de rendement à long terme. Ce type de décision est plus compatible avec un marché qui prend en compte une solide croissance économique et des risques d’inflation qu’avec un marché qui craint une récession imminente.
Globalement, nous croyons qu’une pause dans les réductions de taux est nettement justifiée. Par la suite, la politique devrait, ce qui est légitime, être dictée par le comportement des prix et des marchés de l’emploi. Même si les indicateurs actuels sont généralement positifs et peuvent être cohérents avec peu ou pas d’assouplissement supplémentaire de la politique monétaire, les événements futurs pourraient justifier des réductions de taux plus énergiques que ce qu’envisage la Fed en ce moment.
La trajectoire la plus évidente que nous entrevoyons pour un assouplissement supplémentaire est le ralentissement de l’inflation et la hausse du chômage, peut-être en raison de la propagation de l’essoufflement de l’économie mondiale aux États-Unis. La politique est également un facteur potentiel. Par exemple, la probabilité d’une paralysie du gouvernement américain s’accroit. De plus, l’administration Trump imminente a fait état d’un large éventail de mesures qui pourraient avoir des conséquences économiques imprévues et négatives à court terme.
Dans l’ensemble, nous pensons que les investisseurs doivent se concentrer non seulement sur ce que fait la Fed, mais aussi sur ses motifs. De plus, il n’y a rien à craindre d’une réduction plus lente du taux directeur en raison de la robuste performance économique intérieure.
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